Oct 14, 2011 Comments Off on To anarchist or not to anarchist?
To anarchist or not to anarchist?
J’aimerais apporter ma contribution en réponse à l’invitation à la rencontre autour du livre subversif du 15 et 16 octobre 2011 à Bruxelles. Je vais probablement faire tache d’huile sur la toile que peignent la plupart des autres contributions, mais je me considère anarchiste, donc antiautoritaire, et je ne suis pas indifférent à l’issue de ces discussions. Je n’ai encore jamais mis sur papier mes idées sur l’insurrectionalisme contemporain et cette invitation est probablement une bonne occasion de le faire.
La plupart des contributions me semblent très rhétoriques et j’y décèle une maladie qui a régné bien trop longtemps dans notre milieu.
L’invitation suppose que ce qui nous attend dans le futur sera de « savoir contribuer à orienter le feu [des révoltes] vers la liberté. » Une telle expression me retourne l’estomac. Orienter des révoltes est quelque chose que j’aimerais laisser au communistes de parti. L’anarchisme implique nécessairement que tous les participants d’un événement s’y trouvent impliqués sur une base égale. Mais le problème plus fondamental que révèle cette phrase est que l’auteur suppose qu’on interprète tous de la même manière ce qu’est l’anarchisme, qu’on analyse pareillement ce que sera le futur, qu’on poursuit les mêmes buts et qu’on est d’accord sur les moyens de parvenir à ces buts. Je me permets de dire que ce n’est pas un processus collectif approfondi qui a conduit à supposer un tel consensus, mais uniquement l’arrogance de ceux qui se sentent infaillibles depuis qu’ils ont prétendu avoir dépassé l’anarchisme de salon.
J’aimerais donc revenir à la base, à ce qu’est pour moi l’anarchisme, à la situation sociale dans laquelle nous nous trouvons, aux buts d’un projet anarchiste et, finalement, aux moyens d’atteindre ces buts. Il est temps d’enfin rejeter le mensonge affirmant qu’il n’est pas nécessaire de partir de la base et d’éliminer le fardeau pourri qu’on traîne derrière nous depuis ces dernières années. Il y a une résistance contrela pensée construite et rationnelle, une résistance qui cherche a éviter un réel questionnement de la rhétorique. Ya basta!
Pour moi, l’anarchisme est un idéal politique, une idéologie. Il contient des idées sur les rapports sociaux entre les gens et le modèle social dans lequel ils vivent ensemble. C’est une idéologie positive. En tant qu’anarchistes, nous croyons qu’il faut se respecter les uns les autres, qu’il faut éviter l’exclusion sociale et les positions de pouvoir.
Vivre dans une communauté anarchiste demande de ses habitants des aptitudes qui permettent de matérialiser ces idéaux. Mais la vie d’un anarchiste dans une société non anarchiste exige également des caractéristiques personnelles qui permettent de se battre pour ces idéaux dans un environnement hostile, et de se solidariser avec ceux qui souffrent de l’oppression. Ces deux aspects sont intimement liés car rien n’est absolu, les sociétés bougent, et une communauté anarchiste aura toujours affaire à des gens qui ne partagent pas ses valeurs.
Parmi ces caractéristiques, on trouve le courage (par exemple pour se confronter quand il le faut et pour s’exprimer quand on doit communiquer), honnêteté et sincérité (pour ne pas avoir recours à des moyens rhétoriques), un grand nombre de caractères sociaux notamment l’exigence, l’auto-discipline, l’empathie, l’énergie, « avoir le cœur devant », une certaine dose d’intelligence et de savoir (pour percer à jour un minimum la propagande), la volonté de travailler sur soi et, probablement, la modestie… Pour moi, être anarchiste est un défi sérieux pour lequel je me bats chaque jour. Ce n’est pas du tout évident, et c’est ce qui engendre un sentiment d’amertume quand des gens prétendent que ça l’est. Ça explique aussi pourquoi on est marginal, pourquoi Léo Ferré chante: “il n’y en a pas un sur cent.” Cette perception doit traverser toutes nos pensées nos choix stratégiques et j’y reviendrai plus tard.
Pour moi l’anarchisme s’exprime sur quatre niveaux. D’abord, il y a le travail sur soi-même. Viennent ensuite les rapports sociaux entre nous. Puis, les relations qu’on a personnellement ou en groupe avec nos voisins (idéologiques ou géographiques). Finalement, la diffusion des idées anarchistes à une plus grande échelle (ex. des affiches, des tracts, des actions visibles).
Il est évident pour moi que l’ordre dans lequel ces différents niveaux sont cités est également celui de leur priorité. J’ai cependant l’impression que cette évidence n’est pas partagée par tous et qu’on a tendance à mettre beaucoup d’énergie dans le quatrième niveau, un peu dans le troisième mais que les deux premiers ont complètement disparu, et cela m’a souvent irrité.
Maintenant que je suis descendu à la base du cadre théorique, j’aimerais remonter pas à pas et analyser certaines déclarations des différents textes au travers du modèle analyse → orientation → buts → moyens → exécution.
ANALYSE et ORIENTATION
Étant donné que je n’ai reçu cette invitation qu’au dernier moment et comme je suis peu au fait de l’actualité, il est difficile de faire une analyse intéressante de la situation sociale dans laquelle on se trouve. Je me limiterai a deux manières de l’approcher. Une première analyse, générale et séparée des évènements spécifiques, et une autre qui part de certaines propositions de plusieurs contributions.
Si on considère l’anarchisme comme décrit plus tôt, il est clair qu’il existe aussi un monde qui n’est pas anarchiste. Il y a ceux qui ne partagent pas les valeurs anarchistes, ne possèdent pas les aptitudes pour mettre l’anarchisme en pratique, ou simplement ceux qui ne partagent pas nos analyses, choix de buts et moyens. Il me semble qu’en tant qu’anarchistes, nous appartenons à une petite minorité. En fait, il est simplement difficile de vivre ensemble. Peu importent les évènements, je crois qu’on restera toujours une petite minorité et qu’on doit garder ça en tète.
Dans plusieurs contributions, on peut lire qu’on vit des temps particuliers. « Sans précédent », nous dit un titre. Malheureusement, on reste dans un effet d’atmosphère sans aucune argumentation. Je ne vais donc pas gaspiller beaucoup de mots. Il suffit de retenir que, quoiqu’il arrive (la fin de la paix sociale en Europe par exemple), il y a peu de chance pour que des grands groupes de gens deviennent soudain anarchistes dans le sens expliqué plus haut. Personnellement, je ne vois rien de très particulier à cette époque.
Au niveau des alliés potentiels, des voisins idéologiques, je vois deux groupes principaux. D’un côté il y a ceux qui s’appellent anarchistes, mais qui sont presque tous des blancs d’Europe de l’ouest, et qui, par opportunisme, n’ont pas tant envie de se révolter. Il ne connaissent pas la misère du racisme quotidien, de la pauvreté, et sont peu combatifs. Ils ont des fondements philosophiques, ils réfléchissent à l’écologie, au genre, etc, mais n’ont pas envie d’une vraie confrontation.
Prenons un exemple. Les pacifistes peuvent être des voisins idéologiques parce que, au final, nous sommes aussi contre la violence. Nous ne pouvons pas leur reprocher le fait qu’ils refusent d’utiliser la violence. La violence est un catalyseur typique de l’oppression et de l’autorité et nous devons les comprendre sur ce point fondamental. On peut par contre avoir deux problèmes avec eux.
Premièrement s’ils font de leur pacifisme une morale et se distancient du même coup des gens qui ne la partagent pas. N’oublions pas que ce genre de problème est inhérent à la plupart des normes politiques, pas seulement au pacifisme. Face à un ennemi externe, les fractures internes ne sont jamais appréciées.
Deuxièmement, au sujet des résultats. Au fond, on est allergique aux pacifistes parce que le résultat de leurs efforts défend le statut quo. Ils se limitent à chercher à convaincre, aux actions symboliques et sont encore plus utopiques que nous.
Je les considère comme nos voisins idéologiques parce que nous partageons avec eux une partie des valeurs anarchistes mais pas toutes, et que se pose donc le problème des résultats concrets face au système actuel, puisqu’ils refusent de l’attaquer. Dans les moments non-offensif, ils peuvent bien être antiautoritaires, prendre en compte les questions de genres, des relations de pouvoir dans le groupe, de l’environnent, etc…. Potentiellement, il serait donc possible de vivre ensemble, mais pas de lutter ensemble.
De l’autre côté, il y a les voisins idéologiques avec lesquels on partage une certaine haine envers le système. Ils ont des élans pratiques de révolte et attaquent le système. De nombreux facteurs peuvent jouer là-dedans, mécontentement, désespoir, ou un surplus de testostérone. Souvent, il leur manque par contre également un nombre d’autres valeurs anarchistes comme notre antiautorité, notre sensibilité au genre, etc. Enfin, le problème se trouve de nouveau au niveau des résultats. Avec beaucoup de fantaisie, on peut imaginer se révolter ensemble, causer une rupture avec la normalité, mais ça s’arrête là. Nous ne pouvons pas vivre ensemble, car nous n’avons pas les mêmes valeurs.
Évidemment il y a toute sorte de gens, proches ou éloignés, qui partagent avec nous des combinaisons d’analyses, valeurs et caractéristiques. Je mentionne ces deux exemples car j’ai l’impression qu’on a tendance à cracher sur les premiers et à se masturber devant les deuxièmes sans beaucoup de sobriété. On critique les anarchistes de salon pour l’absence de résultats, mais cela ne nous pose pas de problème chez ceux qui se révoltent. Il me semble qu’on se démarque comme des adolescents rebelles et que le temps est venu de trouver l’équilibre et de faire mûrir notre pensée.
Dans notre analyse, on devrait aussi se poser des questions sur les forces réactionnaires. Il est clair que le système régnant n’est pas du tout inconscient de l’opposition. Il est expert tant au niveau de la répression que de la propagande. Il travaille avec diligence aux stratégies de gestion de la population et à empêcher la résistance. En une phrase, cela implique que nous devons le prendre en compte quand nous faisons nos choix. Ceux qui proclament ne pas vouloir faire cas de la répression se trouvent sur un nuage et sont dangereux pour ceux qu’ils emmènent dans leur trip.
Il y a de plus ce sentiment de fin de siècle, que tout est près de changer, que le système vacille. Il me paraît important de ne pas oublier que même s’ il y a plus de révoltes, même s’il y a des « crises économiques », écologiques, énergétiques ou encore des guerres, les seules choses qui ne sont menacées d’aucune crise sont la mauvaise fois, l’égoïsme et la volonté de profiter de l’oppression des autres, bien au contraire. Le système capitaliste qu’on connaît peut vaciller un jour, mais pas les rapports sociaux qu’on déteste.
BUTS
Après l’analyse, nous pouvons nous demander quels devraient être les buts d’un projet anarchiste. Une réponse pourrait être le « vaste et profond bouleversement des rapports sociaux ». Ceci est un beau rêve. Mais pratiquement, ça implique la diffusion large de l’anarchisme. Si les rapports sociaux étaient si bouleversés qu’il nous conviennent, cela impliquerait que toutes les personnes concernées deviennent anarchistes. Pour être honnête, je ne pense pas que cela soit réaliste.
Si certains buts sont trop élevés, nous devrions peut être réduire l’échelle. Travailler les rapports sociaux sur les trois autres niveaux déjà décrits. En plus, nous pouvons réfléchir à tout un tas d’autres buts possibles. Une des manières de considérer une situation difficile est de voir comment garder plusieurs options ouvertes. La possibilité de ne pas se trouver tous entièrement fichés vaudrait la peine d’être considérée. Se donner des moyens, ou, plus offensivement, saboter la recherche sur certaines technologies d’oppression.
Créer la possibilité de fournir les besoins de base comme la nourriture, le logement et les soins médicaux et au travers de ça, avoir quelque chose de substantiel à offrir. On ne peut pas imaginer attirer des gens vers l’anarchisme en ne se basant que sur des mots et des actions offensives (à grande échelle autant que pour les anarchistes qui vieillissent, qui font des gamins, etc..). On a pas de body.
Je n’ai pas là l’ambition d’être complet. J’ai juste voulu lancer quelques pistes de réflexion.
MOYENS
Comme moyen, l’invitation nous demande de considérer comment nous pourrions « orienter le feu vers la liberté ». Le feu des récentes révoltes. Si nous ne nous considérons pas comme une avant-garde cela implique de convaincre les potentiels révoltés de l’intérêt de l’anarchisme. Pratiquement, ça implique en tous cas de les rencontrer réellement et de voir ensuite si notre anarchisme les inspire. Ai ferri corti nous pose un paradoxe. On peut bien penser que sans rupture avec la normalité il est impossible de poser les bonnes questions, mais je pense qu’elles ne peuvent aboutir à des bonnes réponses que si la révolte a des bases solides. Tant qu’on ne partage pas plus que le désir de révolte, elle ne peut pas mener à du beau.
Quelque part, on peut lire que « le projet révolutionnaire ne vise pas des victoires, mais est un devenir permanent ». Je suis convaincu que le projet anarchiste à besoin des deux. Le devenir permanent, je l’ai déjà évoqué brièvement. En tous cas, je veux travailler sur moi-même et vivre avec des gens qui font la même chose. Ça m’apporte beaucoup de force de discuter avec d’autres et de vivre consciemment nos rapports sociaux, de partager de manière permanente nos savoirs et de créer un monde sur des bases solides. Au final, nous devons tous manger, alors un projet agricole est un pas qui nous donne plus d’indépendance et qui nous réunit. Il nous permet aussi de faire des expériences pratiques d’anarchisme. Si, en plus, on squatte, ça nous permet de survivre sans devoir bosser pour un patron. Je me suis en tout cas rendu compte que j’ai du mal à lutter aux côtés de gens avec qui je ne pourrait pas vivre .
« …as long as we suffer apart from one another, you can hold my hand, but you can never hold my heart… »
Mais j’ai aussi besoin de victoires. Notre capacité à faire quelque chose dans ce monde, n’importe quoi, nécessite des moyens et des information sur nos adversaires. Je ne veux pas continuer à balancer entre le rêve d’une révolution distante et encore une fois saccager les vitres des rues de commerce. On doit réfléchir à ce qui nous donne un vrai pouvoir. Pouvoir duquel on aura besoin pour nous défendre, ou pour être plus offensif. Attaquer la façade du système capitaliste n’est pas du tout toujours le plus efficace. Ça ne servira en tout cas pas à nous défendre. Je considérerai comme une victoire ce qui nous apportera un résultat concret. Non seulement ils servent directement, mais les succès sont une source d’inspiration.
Enfin…
… je veux encore revenir aux contributions présentes. Pour moi aussi la révolte est une source d’inspiration. Je crois par contre que, si on veut en faire quelque chose, cela exige une réelle implication. J’avoue que je n’ai pas bien suivi ce qui s’est passé dans le Maghreb ces dernier mois, mais il me semble clair que les gros médias veulent nous faire croire que ce sont des révolutions. La vraie question est ce qui vient ensuite. Il se pourrait bien qu’on assiste à un changement de pouvoir plutôt qu’à une révolution.
Je veux bien lire des articles bien documentés, qui donnent des informations et qui sont sincères. Je veux aussi bien rencontrer les révolutionnaires et voir si on pourrait vivre des choses ensemble. Ce que je refuse, c’est de lire des textes qui ne disent rien, qui font de nombreuses références à des évènements, sans valeur informative, sans justification et qui se masturbent sur des révoltes sans se poser vraiment la question de ce qu’est la signification des évènements. L’anarchisme c’est penser par soi-même, et se faire sa propre opinion. Quand il me manque de l’information, lire des opinions ne me sert à rien. Oui, je suis contre la propagande et la rhétorique parce qu’elles essayent de persuader et pas de convaincre. Après des années, je ne suis toujours ni persuadé, ni convaincu, bien au contraire. Et ceux qui sont facilement persuadés le seront tout aussi vite par quelqu’un d’autre.
Il en va de même pour la lamentation sur la manque d’internationalisme. Si on n’est pas une source d’inspiration localement parce que nos rapports sociaux sont trop pourris, ou parce que la seule chose qu’on a à offrir est une opinion, la solution n’est pas de chercher des compagnons ailleurs. Même si, naturellement, ça ne gène pas de se rencontrer et de discuter.
J’espère que le jour où nous trouverons notre équilibre n’est pas trop loin dans le futur.